Dans plusieurs articles précédents, la notion de convention collective a été expliquée, les modalités de mise en place des accords collectifs détaillée, de même que leur fonctionnement.À présent, voyons comment ces conventions et accords collectifs s’articulent avec le contrat de travail.
Lorsqu’une convention collective s’applique à une entreprise, tous les salariés de l’entreprise liés par un contrat de travail sont concernés.
Autrement dit, le salarié ne peut pas renoncer aux droits qu’il tient d’une convention collective.
En revanche, des dispositions contractuelles peuvent permettre de déroger aux normes conventionnelles.
- Le principe de faveur
En effet, l’articulation entre le contrat collectif et le contrat individuel est, de manière générale, régie par le principe de faveur.
Le principe de faveur, selon le droit commun c’est le texte le plus élevé dans la hiérarchie des normes qui reçoit application (la loi s’impose au décret, qui s’impose à la convention collective qui s’impose à la jurisprudence…).
En droit du travail, une règle d’articulation différente a été posée par la jurisprudence : en cas de conflit de normes, c’est la plus favorable aux salariés qui doit recevoir application.
Ainsi, si le contrat de travail contient une stipulation plus favorable que la convention ou accord collectif, il s’appliquera au salarié.
À l’inverse, si une disposition d’un accord ou d’une convention collective se trouve plus favorable au salarié que les termes de son contrat de travail : elle s’appliquera.
Pour apprécier qui est le plus favorable :
- la comparaison se fait au regard de l’intérêt individuel du salarié.
- la comparaison se fait catégories d’avantages par catégories d’avantages, ayant la même cause ou le même objet.
Toutefois, le principe de faveur n’est pas inscrit dans la Constitution et n’a donc qu’une valeur légale. Il peut donc, aisément, être écarté.
Et, au fil du temps (notamment au fil des lois), ce principe s’est, effectivement, effrité.
Autrement dit, des normes peuvent déroger à d’autres normes dans un sens qui n’est pas plus favorable aux salariés, voire dans un sens défavorable et ce sont ces normes qui vont s’appliquer.
Ainsi, plusieurs réformes législatives successives ont écarté l’application du principe de faveur.
L’ordonnance du 16 janvier 1982 et des deux lois de 1986 et 1987 autorise des accords collectifs (de branche et d’entreprise) à déroger à des dispositions législatives en matière de temps de travail (modulation- annualisation).
La loi du 4 mai 2004 a autorisé qu’un accord de niveau inférieur comporte des dispositions moins favorables que l’accord supérieur. Cela a toutefois été limité par l’interdiction d’édicter des règles moins favorables qu’un accord supérieur en matière de :
- Salaires minima
- Classifications
- Garanties collectives en matière de protection sociale complémentaire
- Mutualisation des fonds destinés à la formation professionnelle
- De plus, la règle ne s’appliquait pas si l’accord de niveau supérieur l’avait expressément interdit.
La loi du 20 août 2008 a ensuite marqué une nouvelle étape dans l’inversion des normes. Elle a permis d’outrepasser le verrouillage de l’accord de branche par accord d’entreprise pour les sujets suivants :
- Le contingent d’heures supplémentaires
- L’aménagement du temps de travail
- La mise en place de conventions de forfaits
- Le fonctionnement du compte épargne temps.
Le verrouillage de l’accord de branche restait effectif pour les autres sujets relatifs à la durée du travail.
- La loi du 8 août 2016 a donné priorité à l’accord d’entreprise sur l’accord de branche en matière de durée du temps de travail et de congés.
(On remarquera que le temps de travail est le laboratoire des évolutions en droit du travail.)
- Les signataires de l’accord de branche ne peuvent plus décider que les dispositions de cet accord en matière de durée du travail constituent un plancher auquel un accord d’entreprise ne pourra pas déroger ;
- L’accord d’entreprise a donc la primauté sur l’accord de branche quelque soit le niveau de son contenu :
- l’accord d’entreprise s’applique qu’il soit, pour le salarié, plus favorable que l’accord de branche ou qu’il soit moins favorable que l’accord de branche ;
- la promotion de l’accord d’entreprise s’accompagne donc d’une mise à l’écart du principe de faveur.
Cependant, quelques exceptions existent. En effet, dans certains domaines, un accord d’entreprise ne peut déroger à un accord de branche.
Les ordonnances Macron ont en effet prévu des blocs de matière et définis pour chacun d’entre eux, quels accords priment sur l’autre.
Dans le Bloc 1, la branche prime impérativement sur les accords d’entreprise (conclu postérieurement ou antérieurement) en ce qui concerne :
- les minima conventionnels ;
- les classifications;
- ladurée du travail, à la répartition et à l’aménagement des horaires
- la gestion et la qualité de l’emploi, c’est-à-dire, la durée minimale du temps partiel et des heures complémentaires, la nouvelle régulation entre contrat à durée déterminée (CDD) et contrat de travail temporaire (CTT) ainsi que les conditions de recours au contrat à durée indéterminée (CDI) de chantier ;
- l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ;
- les conditions et les durées de renouvellement de la période d’essai ;
- l’organisation de la poursuite des contrats de travail entre deux entreprises
- la rémunération minimaledu salarié porté, ainsi que le montant de l’indemnité d’apport d’affaires
Dans ces domaines, un accord d’entreprise ne peut pas déroger de façon moins favorable à un accord de branche, il doit prévoir des dispositions au moins équivalentes.
Le bloc 2, détermine les 4 matières dans lesquelles l’accord de branche, professionnel ou interprofessionnel peut prévoir une clause de selon laquelle un accord d’entreprise ne pourra y déroger qu’à la condition qu’il assure des garanties équivalentes :
- la prévention des risques professionnels et de la pénibilité;
- l’insertion professionnelle et le maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés;
- les conditions et les moyens d’exercice d’un mandat syndical, la reconnaissance des compétences acquiseset les évolutions de carrière ;
- les primes pour travaux dangereux ou insalubres.
Pour les autres domaines, l’accord d’entreprise prime sur l’accord de branche si les deux portent sur la même thématique
Exemple : la prime d’ancienneté, la prime de 13e mois, la durée de la période d’essai initiale, les préavis et indemnités de rupture du contrat de travail.
Vous l’aurez compris, l’accord de branche pose des garanties minimales en certaines matières auxquels il ne peut être déroger par accord d’entreprise.
Mais, dans d’autres domaines, l’accord d’entreprise sera roi et pourra prévoir des dispositions moins favorables pour le salarié que les autres accords collectifs qui seront écartés peu importent donc qu’ils soient plus favorables pour le salarié.
- Le contrat de travail prime-t-il sur les accords collectifs défavorables ?
Comme vous le savez, le contrat de travail : peut prévoir des dispositions plus favorables dérogatoires.
Cependant, dans certains cas, un accord d’entreprise peut s’imposer au contrat de travail alors qu’il prévoit des dispositions moins favorables pour le salarié.
Il en est ainsi, selon l’article L.2254-2 du Code du travail « afin de répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise, ou en vue de préserver, ou de développer l’emploi, un accord d’entreprise peut ».
Mais, les contours de ce texte sont flous, qu’est-ce qu’une « nécessité liée au fonctionnement de l’entreprise » ? Que faut-il entendre par « préserver ou développer l’emploi » ?
La présence de la conjonction de coordination « ou » et non « et » indique clairement que ces conditions ne sont pas cumulatives, rendant le champ encore plus large.
Un employeur pourrait-il faire appliquer « de plein droit » une disposition conventionnelle défavorable à ses salariés au prétexte de « recruter plus de monde » ? Ou bien parce que son concurrent direct a réalisé un meilleur exercice que lui l’an passé ? Les interrogations demeurent.
Les matières dans lesquelles les dispositions, bien que plus favorable du contrat de travail du salarié seront écartés au profit d’un accord d’entreprise reste donc à ce jour flou.
On attend la jurisprudence de la Cour de cassation pour préciser les contours de ces notions.
Il faut tout de même noter que le salarié, même s’il est lié à l’employeur par un lien de subordination, reste libre de ses choix.
Il peut tout à fait refuser de se voir appliquer ces dispositions conventionnelles défavorables, mais non sans risque.
En effet, le salarié dispose d’un délai d’un mois pour faire connaître son refus auprès de son employeur.
Cependant, en cas de refus, l’employeur pourra procéder à son encontre à un licenciement pour cause réelle et sérieuse.
À ce titre, on soulignera que soit apparue une nouvelle forme de licenciement, une cause de licenciement sui generis, qui n’est ni un licenciement pour fait personnel ni un licenciement économique, mais qui repose sur un motif spécifique, inhérent à l’accord.
Le juge, d’ordinaire gardien de la légitimité d’un licenciement, semble donc perdre son pouvoir d’appréciation face à celui-ci, puisque la loi précise d’emblée qu’il est justifié.